Devenir architecte d’intérieur : ce qu’il faut savoir

Un métier créatif, exigeant, en plein essor. Mais aussi une vraie formation, des choix à faire, et des réalités à connaître.

Concevoir un espace, transformer un lieu, penser les volumes, la lumière, les usages. L’architecture d’intérieur attire autant qu’elle fascine. Mais comment devient-on architecte d’intérieur aujourd’hui ? Faut-il une école ? Un diplôme ? Quel statut, quel salaire, quels débouchés ? À l’heure des reconversions et des réseaux sociaux, le métier fait rêver. Mais derrière l’image, il y a une réalité : celle d’un métier technique, complet et loin d’être improvisé.

Un métier entre conception, technique et usages

Loin d’une simple déclinaison esthétique, le métier d’architecte d’intérieur engage une réflexion structurelle sur l’existant. Repenser les volumes, optimiser les circulations, créer des ambiances, composer avec la lumière et les matériaux : tout l’enjeu réside dans l’articulation entre usages, contraintes techniques et intentions de design. L’architecte d’intérieur intervient en rénovation, dans l’ancien comme dans le neuf, pour transformer un espace en profondeur — qu’il s’agisse d’un logement, d’un commerce ou de bureaux.

C’est un métier de conception mais aussi de méthode. Relevé sur site, plans techniques, images 3D, choix des matériaux, coordination des artisans, suivi de chantier… L’architecte d’intérieur maîtrise chaque étape du projet. Il doit aussi connaître les normes (sécurité, accessibilité), dialoguer avec des bureaux d’études ou déposer des déclarations de travaux. Cette rigueur ne s’improvise pas : « Il faut être créatif, mais aussi opérationnel, commercial, bon communicant », résume Caroline Andréoni dans Marie Claire Maison.

Un métier complet, donc, mais aussi exigeant, où la polyvalence est indispensable. La sensibilité au design n’est qu’un point de départ : ce qui compte, c’est la capacité à structurer un lieu, à l’adapter aux besoins, à traduire une vision en solutions concrètes. D’où l’importance d’une formation solide, qu’elle soit initiale ou issue d’un parcours de reconversion.

Formation : entre écoles reconnues et parcours plus libres

Si le métier d’architecte d’intérieur n’est pas réglementé au sens strict, une formation reste indispensable pour exercer de manière professionnelle. Les écoles reconnues, comme Boulle, l’ENSAD, Camondo, Penninghen ou l’ESAIL, offrent des cursus exigeants qui mêlent culture artistique, conception technique, dessin, CAO, matériaux, ergonomie et règlementation. Elles préparent au diplôme de niveau bac+5, souvent requis pour rejoindre des agences structurées ou être reconnu par le CFAI (Conseil Français des Architectes d’Intérieur).

Mais d’autres voies existent, plus libres, parfois plus accessibles. Clémence Jeanjan, fondatrice de l’agence Miss Insitu, a suivi une formation professionnelle en décoration sur trois ans avant de se lancer. Ce type de parcours offre une approche plus directe du métier, à condition de s’entourer, d’apprendre sur le terrain et de développer un vrai savoir-faire. « J’ai appris à concevoir, représenter, argumenter, mais aussi à écouter mes clients et à traduire leurs attentes dans l’espace », explique-t-elle.

Ce qui compte, au-delà du diplôme, c’est la capacité à maîtriser à la fois le langage du projet et celui du chantier. Bénédicte Doré, diplômée de l’ESAIL, insiste sur ce point : « Il faut savoir rêver avec le client, mais aussi le guider sur des choix concrets, techniquement viables et économiquement justes. » Que l’on passe par une grande école ou un parcours plus artisanal, l’essentiel reste de construire une légitimité fondée sur la compétence.

Se lancer : choisir son statut, construire son réseau

Une fois formé, reste à faire le grand saut. Beaucoup choisissent de démarrer en libéral, sous statut micro-entrepreneur ou en société. La liberté est précieuse, mais elle s’accompagne d’une charge : celle de gérer seul les devis, la communication, les assurances, les responsabilités de chantier. D’autres rejoignent des agences, ou travaillent en binôme avec des artisans, des bureaux d’études, ou même d’autres décorateurs. C’est le cas de Clémence Jeanjan, qui explique : « Je suis seule dans mon agence, mais je collabore en permanence avec des artisans et des confrères. L’entraide est précieuse, notamment dans les projets complexes ou à distance. »

La constitution d’un réseau est en effet déterminante. Il ne s’agit pas seulement de trouver des clients, mais aussi des fournisseurs fiables, des entreprises compétentes, des partenaires avec qui partager la charge de travail et la vision. Les syndicats comme le CFAI ou l’UFDI, les salons professionnels, les plateformes de mise en relation permettent de structurer ce réseau.

Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle-clé, en particulier Instagram, pour partager ses projets, affirmer une esthétique, développer sa notoriété. Mais la présence en ligne ne suffit pas. « C’est le bouche-à-oreille qui reste le plus efficace », confie Camille. « Chaque projet réalisé peut en amener un autre. Il faut donc être solide, réactif, et savoir donner confiance. »

Où travaille un architecte d’intérieur ?

Dans une agence, en indépendant, intégré à un cabinet de maîtrise d’œuvre ou dans une collectivité : les débouchés sont nombreux. Certains architectes se spécialisent dans le résidentiel, d’autres dans l’hôtellerie, les espaces tertiaires, le retail ou les équipements publics. Bénédicte Doré, chez Artec, travaille autant pour des maisons de champagne que pour des sièges sociaux : « On doit s’adapter à chaque client, à ses usages, à sa culture. L’aménagement devient un outil stratégique. »

Pierre Bonnefille, Le cabinet d’inspiration

Le lieu de travail, lui, varie au fil des étapes : visite de site, relevé de cotes, conception en bureau, rendez-vous client, réunions de chantier. « Il n’y a pas de routine. Une semaine type mêle modélisation 3D, appels d’offres, suivi des entreprises, gestion des imprévus », résume Camille. Entre création et exécution, le quotidien est un jeu d’équilibre.

Ce va-et-vient constant entre l’idée et la matière, entre l’abstraction du plan et la réalité physique du chantier, constitue l’essence même du métier. L’architecte d’intérieur est à la fois concepteur, coordinateur et médiateur. Il est celui qui rend possible un usage fluide, un lieu habité, une transformation réussie.

Combien gagne un architecte d’intérieur ?

Les revenus varient fortement selon le statut, la région, l’expérience et le type de clients. Un débutant salarié peut espérer autour de 29 000 euros bruts annuels, comme on peut le voir sur cette page. Avec l’expérience, cette rémunération peut atteindre 46 000 euros annuels, soit un peu plus de 3 800 euros bruts mensuels.

En libéral, la rémunération dépend des projets, du taux appliqué (souvent 10 à 15 % du montant des travaux) ou du forfait établi pour la mission. Certains professionnels combinent plusieurs modèles : facturation à la mission, marge sur le mobilier, honoraires au pourcentage.

Il faut aussi anticiper les temps creux, les périodes de prospection, les appels d’offres non retenus. « Le budget est souvent tendu, surtout au début. Il faut apprendre à défendre ses honoraires, à valoriser son travail », rappelle Camille. Le temps passé à modéliser, à suivre un chantier ou à gérer des imprévus n’est pas toujours visible — mais il est bien réel.

Avec l’expérience, la clientèle se fidélise, les projets montent en gamme, et les revenus suivent. Mais même à un niveau confirmé, le métier reste soumis à une forte pression concurrentielle, et demande une grande capacité d’adaptation. Savoir vendre son expertise devient alors aussi important que de dessiner un bon plan.

Un métier exigeant, passionnant, mais pas magique

L’architecture d’intérieur fait rêver, et les figures emblématiques de la discipline n’y sont pas pour rien. Les projets raffinés d’Andrée Putman, l’univers graphique et coloré d’India Mahdavi, le minimalisme sculptural de Pierre Yovanovitch ou encore la vision libre, indépendante, solaire et anticonformiste de Charlotte Perriand nourrissent l’imaginaire collectif. Tous sont devenus, à leur manière, des références. Mais si ces noms font briller les yeux, ils incarnent aussi une excellence rare, fruit d’un long parcours, d’un travail rigoureux et d’une vision forte.

Car derrière l’image glamour véhiculée par les réseaux sociaux ou les magazines, le métier reste technique, exigeant, souvent solitaire. Il faut savoir composer avec les délais, les contraintes budgétaires, les aléas de chantier, les exigences des clients. Il faut aussi gérer, planifier, arbitrer, négocier. La créativité ne suffit pas. Comme le rappelle Bénédicte Doré, architecte d’intérieur chez Artec, « il faut aimer aller sur le terrain, savoir arbitrer et manager les entreprises. »

Devenir architecte d’intérieur, ce n’est donc pas seulement cultiver un goût pour les beaux espaces. C’est aussi construire une posture professionnelle solide, s’immerger dans la complexité des projets, et savoir faire le lien entre rêve et réalité. Un équilibre subtil, qui rend la profession aussi passionnante… que rigoureuse.