Thonet style Bauhaus S 35
Intérieur Bauhaus S 35 - Photo Thonet

Bauhaus, 100 ans après : pourquoi l’acier tubulaire nous fascine toujours

En septembre 2025, le Bauhaus de Dessau célèbre son centenaire. L’occasion de revenir sur une révolution esthétique et matérielle : l’apparition du mobilier en acier tubulaire, portée par Thonet et Marcel Breuer. Un siècle plus tard, cette modernité fait-elle encore sens ?

Un centenaire à la fois patrimonial et critique

À Dessau, le centenaire du Bauhaus ne se contente pas de commémorer un âge d’or du design. Il ravive une question toujours actuelle : que reste-t-il, en 2025, de l’héritage moderniste ? Lorsque Walter Gropius pose les fondations du bâtiment emblématique en 1925, l’architecture entre dans une ère de rationalité radicale. Et dans son sillage, le mobilier suit. Fini les lourdeurs décoratives de la Gründerzeit. Place à la rigueur des formes, à l’économie des moyens, à la lisibilité des structures.

Bâtiment de l'école Bauhaus

C’est dans ce contexte qu’un jeune Marcel Breuer, fraîchement revenu de Paris, observe un objet du quotidien : le guidon de son vélo. L’intuition est simple, mais audacieuse : utiliser les mêmes tubes d’acier pour créer des meubles. En collaboration avec un métallurgiste du site aéronautique Junkers, il donne naissance à une série d’expérimentations, dont le tabouret B 9 H qui sera rapidement décliné en tables gigognes. Simples, empilables, légères. Une petite révolution, qui s’insère parfaitement dans les appartements rationalisés du nouveau Bauhaus.

L’acier tubulaire, matière à penser l’espace

En apparence froid, industriel, presque inhospitalier, l’acier tubulaire devient sous les mains de Breuer, puis de Mart Stam ou Mies van der Rohe, un vecteur de légèreté. Il allège visuellement l’espace, ouvre des perspectives, rend le mobilier « transparent ». Comme l’écrivait Breuer : « Le mobilier, voire les murs d’une pièce, ne sont plus massifs ou monumentaux, mais aériens, ouverts […] ils ne bloquent ni le mouvement ni la vue. »

Publicité Bauhaus Thonet 1931
Une publicité Thonet de 1931

Chez Thonet, cette intuition s’impose rapidement. Déjà rompu aux courbes du bois cintré, le fabricant allemand signe en 1928 un contrat avec Breuer, puis rachète sa société Standard Möbel. L’année suivante, un département acier est créé à Frankenberg. Les pièces iconiques s’enchaînent : la chaise S 32, les tables B 9, les fauteuils cantilever. Dans les années 30, Thonet devient le premier fabricant mondial de mobilier en acier tubulaire. L’élan sera brisé net par la guerre, avant un retour timide dans les années 60, puis une réhabilitation plus large dans les décennies suivantes.

Photo historique de mobilier Bauhaus Thonet

Rééditions fidèles ou relectures engagées ?

Que faire, aujourd’hui, de cet héritage ? Chez Thonet, deux voies coexistent. D’un côté, des rééditions précises, fidèles aux proportions, aux matériaux, aux techniques d’origine. De l’autre, des réinterprétations assumées, comme le projet JS . THONET mené avec Jil Sander. La créatrice allemande, formée à la rigueur nordique, revisite les B 97 et S 64 dans des finitions contemporaines : nickel mat, titane poli, bois clair. Son approche reste minimaliste, mais teintée d’une sensualité discrète.

Chaise Thonet S 243
Chaise Thonet S 243

Plus récemment, le designer Frank Rettenbacher a signé la chaise S 243, où tubes d’acier de différentes épaisseurs et assise en contreplaqué teinté composent une forme simple, accessible, résolument actuelle.

Ces créations témoignent d’une tension féconde : comment préserver l’esprit du Bauhaus sans en faire un pastiche ? Comment continuer à faire parler les matériaux, sans céder à la nostalgie ou au fétichisme formel ?

Une modernité encore opérante ?

À l’heure des biomatériaux, de la réutilisation et des circuits courts, l’acier tubulaire conserve une certaine pertinence. Léger, durable, recyclable, il coche bien des cases. Mais au-delà de ses qualités physiques, c’est son potentiel formel et spatial qui continue de séduire. Sa capacité à s’effacer, à révéler l’architecture intérieure plutôt qu’à l’occuper.

Intérieur Bauhaus S 5000
Intérieur Bauhaus S 5000 – Photo Thonet

En ce sens, la table B 9 n’est pas seulement un meuble historique. Elle reste une proposition : celle d’un design qui refuse l’ornement gratuit, privilégie la structure, et dialogue avec l’espace. Un siècle plus tard, c’est peut-être là que se niche la vraie modernité du Bauhaus.